On est en 2049. Tolérance zéro est une forme de dystopie où l’auteur imagine l’accès au pouvoir, par une voie démocratique, du mouvement LGBT. Ce mouvement, supplantant les valeurs les plus emblé-matiques du monde moderne d’aujourd’hui, se transforme en une culture de masse qui s’impose à l’écrasante majorité. Ceux qui n’ont pas pu se familiariser avec cette nouvelle pensée comme Maurice Du Morvan qui, entre temps, était dans un coma, vivent ce changement comme une épreuve extrêmement difficile. Ce roman, qui relate cette épreuve avec force détails, décrit la mécanique qui conduit à la capitulation morale des hommes. Un roman palpitant, beau et qui invite au réarmement humaniste du monde. Dans cet entretien, Hamid Grine, Prix des libraires algériens en 2009 et auteur d’une vingtaine de romans et essais édités en Algérie et en France, notamment Cueille le jour avant la nuit (Alpha, 2009), Camus dans le narguilé (Après la lune, 2011), en donne quelques clefs de lecture.
Tolérance zéro est un roman qui a comme toile de fond la prise du pouvoir en France et dans le monde par le mouvement LGBT. Comment vous est venue l’idée d’écrire sur ce sujet ?
Tout est né d’une vision. D’une scène inédite. Je venais de sortir de la librairie Gibert Joseph, bd saint Michel et puis voilà que je tombe, avec ma famille, sur la Gay Pride, Marche des Fiertés aujourd’hui, que nous voyons pour la première fois. Nous nous sommes arrêtés pour contempler le spectacle haut en couleur et en musique. C’était festif. À quelques mètres de nous, il y avait deux malabars qui lançaient des insultes à ceux qui défilaient. Je vous laisse deviner de quels genres de vulgarités ils couvraient les marcheurs quand soudain nous vîmes un groupe sortir du défilé et se diriger tout en se déhanchant vers les deux types qui rigolaient à se fendre la rate en voyant ces homos qui dansaient se rapprocher d’eux. On dirait une scène d’un film de Fellini. Et comme on ne se méfie jamais ni des danseurs, ni de ceux qui se contorsionnent, ils ont continué à les insulter tout en rigolant à se fendre la rate. Moi-même je pensais que le groupe habillé en arc-en-ciel allait gentiment se moquer des homophobes. Erreur. En passant à l’action, ils ont perdu tout le côté ludique et fofolle de leur apparence. Ils leur ont administré la tannée du siècle sous les rires et les quolibets des autres marcheurs. C’était la première fois de ma vie que je voyais des homosexuels réagir violemment aux attaques. J’étais habitué à les voir en position défensive, de fuyards même… L’idée est née à ce moment-là. Elle est restée en gestation de longues années avant que je ne la mette sous forme de roman.
Le récit se déroule en 2049. Ce cadre est choisi au hasard ou il s’agit d’un vrai pronostic politique de votre part ?
Projection. Le temps s’est accéléré à notre époque. Tenez, la dépénalisation de l’homosexualité, considérée comme un fléau social, s’est déroulée en 1982 sous Mitterrand puis le reste est venu à un rythme très accéléré : Pacs, mariage des couples du même sexe en 2013, adoption homoparentale. Tout cela était inimaginable il y a une cinquantaine d’années. Quelqu’un l’aurait écrit on l’aurait traité d’illuminé. Donc, raisonnablement, on pourrait s’attendre à un gouvernement totalement LGBT + dans le futur. Par exemple, dans le gouvernement Attal, le ministre des Affaires étrangères était le conjoint du Premier ministre qui avait révélé et assumé publiquement son homosexualité, d’autres ministres ainsi que des hommes et femmes politiques ont fait leur coming-out. On aurait prédit ça en 1962 devant le général de Gaulle, chrétien bon teint, il aurait été au bord de l’apoplexie.
Votre roman est une dystopie qui n’en est pas une. Tout en décrivant un monde futur sombre, il réussit à montrer les limites de la folie des hommes. Qu’est-ce qui peut véritablement empêcher l’homme de courir à sa perte ?
Rien ne peut empêcher les hommes, poussés par la même folie en même temps, de se précipiter vers l’abime. Il faudrait qu’un jour des chercheurs se penchent sur cette mystérieuse passion du mal qui prend les hommes en temps de crise morale et de crise économique et nous y sommes pleineùent. Voyez ce qui se passe à Gaza, voyez l’Ukraine qui pourrait être le déclencheur d’une troisième guerre mondiale à l’issue de laquelle on pourrait imaginer une révolution des mœurs et des mentalités qui conduirait à de nouvelles gouvernances avec de nouvelles institutions où les LGBT + prendraient le pouvoir comme dans le roman. Tout est possible. Tout est ouvert. Fou est celui qui pourrait dire dans quel état sera le monde dans une trentaine d’années.
Votre personnage principal est un catholique impénitent qui tente tant bien que mal de se trouver une place dans la nouvelle république LGBT. Dans sa quête, il n’hésite pas à regarder du côté du judaïsme et de l’islam. Pensez-vous que les religions vont résister aux nouvelles tendances philosophiques fondamentalement anthropocentrées du genre humain.
Maurice Du Morvan, catholique perdu en terre LGBT à son réveil d’un long coma, n’avait d’autre choix que d’émigrer dans des pays où la seule norme sexuelle est l’hétérosexualité : les terres d’Islam et du Judaïsme car le monde entier est devenu LGBT. La religion a toujours été un refuge en temps de crise morale, identitaire, économique… Quelles qu’elles soient, les religions ont toujours une base commune : celle de proscrire l’homosexualité considérée comme un péché. La relation jugée contre-nature entre deux personnes du même sexe est intolérable pour toute religion. En terre d’Islam, à quelques rares exceptions, l’homosexualité est confinée dans un ghetto. Et malheur à celui qui n’en tient pas compte. Le meilleur exemple nous vient du poète Jean Sénac qui vivait dans Alger des années 70 comme s’il était au Marais à Paris. C’est parce qu’il n’a pas su faire le distinguo entre les deux pays qu’il l’a payé de sa mort. On ne joue pas avec ce qui est considéré comme haram (interdit) par la religion et la loi.
Au final, sans grands risques de me tromper, je pense que le judaisme et l’islam, un peu moins le christianisme qui montre chaque fois plus de souplesse concernant les choses du sexe, resteront le bastion de l’hétérosexualité. Les défenseurs ultimes de ceux qui réprouvent tout autre relation sexuelle qu’entre deux sexes différents, mâle et femelle.
Vous êtes connu pour vos travaux sur Camus et Jean Sénac dont vous avez une connaissance précise et précieuse. Mais votre littérature, plus social que personnelle et plus sociologique qu’intimiste, est très différente de celle de ces deux auteurs. Qu’est-ce qui nourrit votre imagination et votre écriture ?
Mon vécu. Je me suis fourré tout entier dans certains de mes romans, tels par exemple, La dernière prière ou La nuit du henné. Le premier raconte la montée de l’islamisme en Algérie, le second qui joue avec les codes du fantastique est basé sur une histoire que j’ai vécue avec mon épouse durant des vacances à l’étranger. Ma vocation est née de ma famille. Vous savez, je descends d’une famille littéraire, je veux dire plus portée sur la culture que sur la science. Mon fils écrit des nouvelles et de la poésie, un cousin est romancier, ma mère elle-même et ma grand-mère étaient des poétesses de l’oralité d’une rare éloquence. Les vers tombaient de la bouche de ma mère comme une eau pure jaillissant d’une source. C’était d’un naturel à vous couper le souffle. Et quel sens de la répartie ! Durant toute mon enfance, j’ai baigné dans cet environnement où les êtres imaginaires avaient plus de consistance que ceux de chair et d’os. Je connaissais mieux Dracula que des cousins, mieux le petit Fouroulou de Feraoun que des voisins.